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dimanche 11 octobre 2015

L'ECHANGE DES PRISONNIERS A ACUITZEO LE 5 DECEMBRE 1865.




L’ECHANGE DES PRISONNIERS A ACUITZEO

LE 5 DECEMBRE 1865



PAR MICHEL PROVOST


Combat de Tacambaro. Michel Provost



Préambule

Le 11 avril 1865, au cours de la Campagne du Michoacan, quatre compagnies de voltigeurs du régiment belge s’étaient fait surpendre à Tacambaro par les forces juaristes du général Nicolas Régulès. Après une lutte acharnée de six heures, les volontaires belges sont contraints à la reddition, déplorant la perte de six officiers ainsi qu’une vingtaine de sous-officiers et soldats. Les 203 prisonniers capturés furent envoyés en captivité vers la petite ville de Huetamo, à quelques lieues du Pacifique. Le lieutenant-colonel Alfred Van der Smissen, qui commande le corps des volontaires belges, accepte difficilement cette défaite et n’a dès lors qu’une seule intention : prendre une revanche sur ses adversaires républicains. Il obtiendra cette victoire le 15 juillet 1865 sur les hauteurs de Tacambaro, lors du combat dit de la Loma (1). Les prisonniers républicains, parmi lesquels plusieurs officiers, permettront d’ouvrir des négociations en vue d’un échange de prisonniers permettant de libérer les détenus belges suite à l’affaire du 11 avril. Ces pourparlers seront entrepris du côté belge par le capitaine Léon Visart de Bocarmé. L’affaire semblait en bonne voie lorsque des événements impromptus vinrent contrecarrer les accords obtenus.





Capitaine Léon Visart de Bocarmé. Coll. Priv.



Les négociations

Le 2 octobre 1865, à Mexico, l’empereur Maximilien promulguait un malheureux décret condamnant à la peine de mort tout individu prit les armes à la main. Or, dix jours plus tard, à Santa Anna Amatlan, le général impérialiste Ramon Mendez, qui avait collaboré aux côtés des Belges à la victoire de la Loma, parvenait à surprendre le général José Maria Artéaga, commandant en chef de l’armée du Centre républicain. Le 21 octobre, en vertu du décret impérial du 2 octobre, Artéaga et plusieurs officiers étaient exécutés à Uruapan. Cette nouvelle fut très vite connue par les prisonniers belges qui, à cette époque, avaient été transférés de Huetamo à Cirandaro (2) pour la troupe et à Santiago pour les officiers. Ces derniers furent bientôt persuadés qu’ils seraient passés par les armes sans autre forme de procès.

Le 8 novembre, 9 officiers et 3 ordonnances tentèrent une évasion en pirogue sur le rio de las Balzas. Leur tentative échut. Repris, ils furent reconduits à Huetamo deux jours plus tard. A leur retour, ils furent étonnés d’apprendre que la délivrance était beaucoup plus proche que la



Général Vicente Riva Palacio. Michel Provost.


mort. L’aboutissement des accords en vue de l’échange des prisonniers fut l’œuvre du général républicain Vicente Riva Palacio, qui avait succédé à Artéaga dans le commandement de l’armée du Centre. Il rendra d’ailleurs une visite fort courtoise aux officiers belges dans les jours qui suivront leur tentative manquée d’évasion. Le lendemain de cette rencontre, le capitaine Minôn de la cavalerie impériale, qui était détenu avec les Belges à Huetamo, et le colonel Linarte, chef d’état-major de Riva Palacio, partirent pour Mexico afin de régler les derniers détails relatifs à l’échange de prisonniers. Celui-ci aurait lieu à Acuitzéo (3) le 5 décembre 1865. Les prisonniers belges quittèrent Huetamo le 28 novembre 1865, escortés par le colonel Alzate afin de parcourir les 45 lieues qui les séparaient du lieu de leur remise en liberté. Le 3 décembre dans l’après-midi, ils arrivèrent à Tacambaro où ils furent accueillis par Riva Palacio. Le général invita les officiers belges à lui transmettre leur photographie dès leur retour à Morélia. Ce désir sera réalisé.



Photographie des officiers belges libérés.

Lieutenant Walton ; sous-lieutenant Adam ; sous-lieutenant Fourdin ; sous-lieutenant de Biba ; sous-lieutenant Jacobs ; capitaine Gauchin ; le capitaine Visart de Bocarmé en couvre-nuque et qui mena les négociations ; lieutenant Deheck ; sous-lieutenant Geoffroy de la cavalerie impériale mexicaine. (coll. MRA Bruxelles)



L’échange des prisonniers

Le 4 décembre 1865, les prisonniers républicains (4) quittèrent Morélia escortés par une cinquantaine de volontaires belges. Cette colonne était commandée par le capitaine Léon Visart de Bocarmé accompagné du lieutenant Jean Jaminé et des sous-lieutenants Nestor Stassin et Alfred Stoops. Au soir, le campement fut dressé à Santiago d’Undaméo. Le 5 décembre, à 2 heures du matin, la troupe se remit en marche afin de rejoindre Acuitzéo à 6 heures, heure désignée pour l’échange. Conformément aux accords conclus, les Belges et leurs prisonniers devaient s’arrêter à 2 kms de l’entrée du village. Il était convenu qu’aucun membre des escortes respectives ne pouvait entrer dans le centre d’Acuitzéo, mis à part les officiers désignés de chaque parti.



Le lieutenant Jean Jaminé. Coll. priv.


La colonne venant de Tacambaro s’était également mise en route ce même jour bien avant le lever du jour. Elle avait cependant gagné du retard. C’est la raison pour laquelle, à 3 heures du matin, le colonel Linarte, qui commandait le détachement, permit au lieutenant Emile Walton, qui faisait partie des prisonniers, de quitter la troupe pour avertir Visart de Bocarmé que l’échange aurait bien lieu. Walton, accompagné d’un commandant de guerilla républicaine parvint à Acuitzéo, alors que le jour n’était toujours pas levé. Les deux hommes traversèrent la localité. Apercevant les coiffes recouvrant les képis de l’escorte belge venant de Morélia, le commandant de guérilla républicain prit congé de Walton. Celui-ci rejoignit le capitaine Visart pour lui exposer les motifs de sa présence. Walton fut présenté aux principaux officiers républicains prisonniers. Des ordres furent donnés par le capitaine aux officiers belges qui l’accompagnaient. A la levée du jour, le lieutenant Walton, le capitaine Léon Visart de Bocarmé et le capitaine Salgado de l’artillerie impériale se mirent en selle pour rejoindre le centre d’Acuitzéo. Ils étaient attendus par un piquet de cavalerie républicaine. Deux sonneries de clairon annoncèrent le début de l’échange des prisonniers. Les républicains étaient représentés par le colonel Linarte et le commandant Marmolejo. La rédaction et la signature des procès-verbaux d’échange durèrent environ ¾ d’heure. Les relations entre les officiers des deux partis furent des plus cordiaux, voire très amicaux. Enfin les prisonniers belges rejoignirent le centre de la localité,se formèrent en bataille sur la Grand-place d’Acuitzéo, et attendirent le passage des prisonniers républicains. On devine quel fut l’accueil réservé aux prisonniers libérés dans chaque camp. Les Belges libérés furent conduits à Tiripitio où les attendaient huit voitures chargées d’armes, de munitions, d’uniformes, de victuailles et de tonneaux de bière. Après un repos de trois heures, la colonne allait rejoindre Santiago d’Undaméo vers 23 heures où elle établit son campement. Le lendemain, 6 décembre 1865 à 9 heures, la troupe fit son entrée à Morélia, musique en tête, sous les acclamations de la population.



El perdon de Los Belgas


El pardon de los Belgas

Peinture de Franciseo de Paula de Mendoza (palais du gouvernement de Morélia)

Le Palais du Gouvernement à Morélia conserve une peinture intitulée « El Perdon de los Belgas», œuvre de Francisco de Paula de Mendoza, et qui représente l’échange des prisonniers le 5 décembre 1865. Ce qui m’avait interpellé avant tout dans cette création était le groupe des officiers belges. La représentation des uniformes semblait plus que fantaisiste tandis que la physionomie des intéressés paraissait sortir uniquement de l’imagination de l’artiste. Ce dernier n’en était nullement responsable. «El Perdon de los Belgas» a été réalisé en 1881. Franscico de Paula de Mendoza ne disposait d’aucune indication concernant les uniformes portés par les officiers belges, ni de leur aspect physique. Disposant des éléments qui manquaient à mon talentueux prédécesseur, j’ai été tenté de réaliser un dessin tout en


El pardon de los Belgas : dessin de Michel Provost


respectant le concept même de sa réalisation. Il appert cependant que tant l’œuvre de Franscico de Paula de Mendoza que mon dessin ne représentent qu’une allégorie peu soucieuse de la vérité historique. En cause : l’absence le 5 décembre 1865 à Acuitzeo du personnage principal de cette composition : Vicente Riva Palacio. Le général républicain était resté ce jour-là à Tacambaro alors que se déroulait l’échange. L’ouvrage «Souvenirs d’un Officier Belge au Mexique» du lieutenant Emile Walton, un des officiers prisonniers publié en 1868 fait ici référence en la matière. Walton consigne que si le général Riva Palacio a rencontré à plusieurs reprises les officiers belges prisonniers à Tacambaro, il ne s’est pas rendu personnellement à Acuitzeo, laissant cette tâche à ses subordonnés. Cette absence se confirme par un autre témoignage, celui d’Emile Noirsain (5). Celui-ci faisait partie du détachement des 50 volontaires belges choisis pour escorter les prisonniers républicains. Dans son manuscrit il ne fait aucune allusion à la présence du général lors de l’échange. Enfin l’absence de Riva Palacio se justifie pour une raison toute simple. Il était notoire que les troupes européennes engagées considéraient les troupes impériales mexicaines, leurs alliés, avec beaucoup défiance, voire du dédain. Pour les forces républicaines ces considérations étaient pire encore : il s’agissait tout simplement d’un ramassis de brigands et de bandits. Pour les Diaz, Escobedo, Riva Palacio et tant d’autres généraux de la faction libérale, cette dévalorisation devait être insupportable. Le fait de la présence belge d’un subalterne en grade (le capitaine Visart de Bocarmé) à Acuitzéo ne pouvait qu’accroître cette dépréciation de la valeur des officiers républicains liés à la cause de Benito Juarez. Ce qui ne voulait certainement pas le général Vicente Riva Palacio. Un buste à son effigie prône aujourd’hui sur la place d’Acuitzio del Canje. A juste titre car il fut le maître d’œuvre de cette journée mémorable du 5 décembre 1865.


Buste du général Vicente Riva Palacio.



NOTES

  1. Batalla de Cerro Hucco pour les Mexicains.
  2. Aujourd’hui Zirandaro.
  3. Aujourd’hui Acuitzio del Canje, situé à 32 kms au sud de Morélia.
  4. Les sources dont nous disposons concernant les prisonniers républicains indiquent 42 officiers parmi lesquels 3 généraux : Canto, Tapia et Ramirez, 3 colonels, 2 lieutenants-colonels, 2 majors et 104 soldats. Ces nombres diffèrent cependant dans l’ouvrage «Historia de la Guerra de Intervention en Michoacan» d’Eduardo Ruiz, édité en 1896 et qui constitue l’ouvrage de référence au Mexique. Ruiz indique 45 officiers dont un seul général (Benigno Canto), 4 colonels, 9 lieutenants-colonels et 111 soldats. Pour les prisonniers de l’armée impériale Ruiz mentionne 10 officiers mexicains, 8 officiers belges, 15 sous-officiers belges,1 cantinière et 265 caporaux et soldats belges. Ce dernier chiffre semble assez étonnant dans la mesure ou le nombre de prisonniers belges à Tacambaro le 11 avril 1865 et envoyés à Huetamo, s’élevait à 203, dont 7 officiers, 18 sous-officiers, 177 caporaux et soldats et 1 cantinière.
  5. Noirsain Emile, né à Tournai en 1845. Manuscrit «Souvenirs du Mexique», non publié, conservé au Musée Royal de l’Armée à Bruxelles.


Acuitzio del Canje.




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